Sourire ironique dans l’isoloir

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Sourire ironique dans l’isoloir, regard sarcastique sur quelques feuilles de papier, quelques noms, quelques mots. La bien pensante sphère internet l’a rappelé d’innombrables fois. Le cliché est rapide, dans l’urne, chez soi, au milieu de nulle part, peu importe finalement, tant que la photographie montre ce petit papier plié par deux fois, bleu, blanc, rouge.

Pourtant, cette fois, face à la carte électorale, aucun iPhone pour immortaliser l’exploit. On met son chat, son repas ou ses derniers jeux vidéo sur les réseaux, mais là, pour une raison peu explicable, on s’y refuse. L’envie manque, certainement. Mais pas besoin d’être rappelé à l’ordre, CaliKen vote, rassure-toi Denise.

Pas du genre non plus à cacher ses opinions politiques, même si elles ne se définissent pas (et heureusement d’ailleurs) et ne se cantonnent pas à un simple courant politique. Le souci n’est d’ailleurs pas politique, il est plus profond. Il est humain, il est humaniste, il est logique. Il faut voter, on s’est battu pour, c’est la démocratie, c’est un acte citoyen, c’est faire entendre sa voix, c’est combattre les extrêmes, braver le FN et si l’on veut dire merde aux politiques, il faut le dire par blanc ou nul.

Certes.

Mais c’est aussi accepter de rentrer dans le système. Accepter le fait que, depuis des siècles et des siècles, une poignée d’individus contrôle la majorité, et que si cette poignée alterne, entre aristocratie, bourgeoisie et autre fils-de-puterie, la masse dirigée, elle, est bien la même depuis toujours. Le plus fou dans tout ça, c’est que les révolutions s’enchaînent et que rien ne change. Le sans domicile est toujours sans domicile, le pauvre est toujours pauvre, l’argent est toujours roi, le salarié moyen galère toujours. Tout ça grâce à un système bien rôdé, qui s’appuie sur des peurs et de faux ennemis. Noyons le poisson et opposons les gens entre eux. Le privé et le public, les enseignants et les parents d’élèves, les gens de droite aux gens de gauche, les athées contres les croyants… Tous ces gens pourraient être dangereux s’ils s’unissaient, mais il est bien plus simple d’user de quelques médias et de systèmes vieux comme le monde pour leur faire oublier la triste réalité. Oublions qu’une poignée de truand aux casiers judiciaires bien fournis se fait des couilles en or, et apprenons plutôt à nous trouver des ennemis directs et visibles.

Et pourtant… en attendant, ce système nous protège. Il empêche le Roi des Anglais de venir nous péter le derrière et nous barbouiller de sauce à la menthe, il nous permet de nous soigner gratuitement en cas de séjour à l’hôpital pour cause d’hémorroïdes, et il fait en sorte que, malgré tout, un semblant d’équilibre et d’équité soit respecté. Alors pour ça, pour cet espoir, pour ces gars et ces nanas qui se sont battus pour voter, je vote moi aussi.

Mais attention. Un jour, il y aura un homme ou une femme de trop sur le trottoir. Un jour il y aura une magouille de trop par ceux qui nous gouvernent. Un jour, l’égalité et la justice ne seront même plus l’ombre de ce qu’elle ont été.

Alors ce jour là, je n’aurai pas à justifier mon abstention.