Lettre à un terrien

Ce qui suit est vrai. Ce matin, l’esprit encore embrumé par une bonne nuit de sommeil, j’ai trouvé une lettre à côté de mon bol de céréales. D’où venait-elle ? Aucune idée. Elle était là, posée tranquillement. J’y ai trouvé une écriture soignée, qui inspirait le calme et la réflexion. Je l’ai lue. La voici.

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Cher Monsieur,

Je tiens tout d’abord à m’excuser pour l’éventuelle stupeur qui vous frappera à la découverte de cette lettre. J’imagine parfaitement que trouver, chez soi, un courrier posé sur sa table, alors que l’on a fermé sa porte à clef, pourra vous paraître dérangeant, voire inquiétant. Laissez-moi vous rassurez : nous n’avions pas décidé de violer votre intimité, et encore moins vous faire peur. Notre but était simplement de déposer ici, un petit courrier à l’attention de l’espèce humaine. Et si c’est chez vous que nous avons décidé de poser ledit courrier, c’est le fruit de ce que vous appelez le « hasard » et le fait que nous n’avons pas voulu laisser notre lettre à l’un de vos dirigeants, notre confiance envers eux et l’éventuelle manière qu’ils auraient eu de partager le message étant très faible.

Tout d’abord, laissez-moi me présenter. Étant donné que mon nom n’a pas de traduction dans votre langue, nous dirons que je m’appelle Bertrand. Je viens d’une lointaine planète, à plusieurs milliers de ce que vous appelez « Années Lumière » de la votre. Notre « race » opère depuis peu un regroupement des espèces vivantes les plus intelligentes afin d’allier nos savoirs et continuer nos évolutions main dans la main. Et si vous tenez cette lettre entre les vôtres, c’est que malheureusement pour vous, la race humaine n’est pas sélectionnée pour ce programme d’envergure.

Les raisons sont nombreuses, et nous vous en détaillons ici les principales. A vous ensuite de partager le contenu de ce courrier avec vos semblables, ou de le garder pour vous, cela ne changera de toute façon en aucun cas votre situation.

1 – Votre espèce est trop violente

Nos nombreuses découvertes galactiques nous ont amené à appréhender beaucoup d’espèces différentes, dont certaines extrêmement hostiles. Cependant, aucune d’entre elles n’a réussi à élever le meurtre à votre niveau. La race humaine n’a effectivement pas le monopole de la guerre et de l’homicide, mais aucune autre créature vivante dans l’univers n’a commis de crimes de votre puissance. Aucune autre espèce n’a tué ses semblables par millions, pour leurs opinions, pour leur couleur de peau ou pour les croyances. Vous êtes également les seuls à avoir inventé un nombre aussi grand de procédés amenant la mort, étant finalement plus productifs pour ôter la vie que pour apprendre à la prolonger ou à la sauver. Mon dégoût envers vos actes m’empêche de vous faire une énumération des pratiques en question, mais un petit tour sur votre « Internet » servira certainement à vous rafraîchir la mémoire.

2 – De belles possibilités

L’espèce humaine est pourtant, et c’est bien là que s’est situé notre dilemme, capable d’infinies prouesses et de beaucoup d’amour. Vos capacités artistiques, l’énergie que vous pouvez employer à mettre en œuvre des projets d’envergure ou encore la puissance des sentiments de certains humains ont longtemps instauré le doute lors de notre décision finale. Beaucoup de vos semblables auraient mérité, par la puissance de leurs convictions, leur pacifisme face à la haine de leurs congénères, et leur sagesse, d’être choisis par nous. Malheureusement, nous prenons une espèce, ou nous ne la prenons pas, et nous nous refusons à ne choisir que certains spécimens. De plus, rien ne nous assure que les descendants d’un sage seront, à leur tour, aussi sage que leur aîné.

3 – La monnaie : notre totale incompréhension

Parfois certains des vôtres sont plus éclairés.

Nous avons croisé sur notre route de nombreuses espèces vivantes, d’une intelligence parfois vraiment très limitée. Cependant, aucune n’avait inventé une chose comme la votre : la monnaie. Nous avons rencontré des espèces arriérées, des être vivants luttant dans un climat hostile et avec des ressources limitées, des entités très peu nombreuses sur leur planète, mais capable d’une entraide hors du commun. Vous même, sur Terre, avez l’occasion de comparer votre situation avec celle des autres espèces vivantes que vous jugez, trop rapidement, inférieure, et que vous nommez animaux. Sur les milliards de spécimens répertoriés, de la plus infime paramécie aux primates les plus intelligents, aucun n’utilise cette notion de monnaie. Celle-ci vous est devenue tellement propre, tellement ancrée dans vos us et coutumes, tellement familière, que vous n’imaginez pas même pouvoir créer une société sans sa présence.

Regardez où vous conduit votre « argent » : dans des situations ubuesques où des sujets extrêmement élevés, preuve du niveau d’intelligence (ce qui est paradoxal) de votre espèce, se retrouvent cantonnés à être de simples objets de valeur. Par exemple, la musique, où certains d’entre vous excellent, vous met face à des problèmes complètement absurdes, de notre point de vue. Jouer l’œuvre musicale d’un autre, l’écouter, la partager, transmettre le savoir et la beauté sont des choses que vous vous interdisez pour des raisons superflues, parce que votre système implique que l’argent est nécessaire pour vivre. Au contraire, la transmission de l’art et de la création devraient être des obligations et un des moyens d’élever votre condition. Votre soumission à l’argent oblige que tout homme vive par et pour lui, y compris vos artistes, qui doivent donc « vivre » de leur art. Une hérésie, selon nous, d’autant plus que l’univers artistique est à des années lumières de ces basses considérations matérielles. Une notion abstraite qui régit vos vies de façon concrète et un véritable gâchis, selon nous. Vos richesses sont concrètes, partageables, quantifiables, et vous vous les interdisez en créant cette hérésie qu’est la monnaie, allant à l’encontre de la survie de votre espèce.

4 – Vos divisions

D’un point de vue extérieur, nous sommes complètement dépassés par cette notion, cause de vos majeurs soucis, de vos inégalités et des tensions qui animent vos différents peuples. Nous ne rentrerons pas dans une analyse approfondie (chose que nous avons faite, pour essayer de comprendre votre raisonnement), mais nous nous contenterons d’en venir directement à notre conclusion. Une conclusion que vous pouvez observer tous les jours. Selon vous, quels sont les problèmes directs de l’humanité ? Ceux auxquels elle ne peut se soustraire ? Les maladies, les espèces hostiles, les catastrophes naturelles… Ce sont les trois sources auxquelles toutes les créatures vivantes de l’univers sont soumises et se sortent avec plus ou moins de brio. Autant vous dire que les espèces belligérantes, comme la vôtre, ne survivent pas longtemps, trop occupées qu’elles sont à se battre les unes contre les autres. Étrangement, vos guerres ne vous ont pas affaiblis. Leur résultat a été différent, mais tout aussi négatif : elles ont mis au pouvoir, et chaque fois de manière un peu plus forte, des membres de vos espèces, de moins en moins nombreux et de plus en plus forts, capable de vous dominer en réussissant l’exploit de vous faire croire à la liberté, à ce que vous nommez « démocratie ». De véritables progrès apparaissent, mais parallèlement, vous êtes progressivement de plus en plus asservis, de manière de plus en plus discrète. Ce beau tour de passe-passe ne masque pas les énormes inégalités qui vous frappent et votre incompréhensible répartition des richesses. Comme si vous n’agissiez pas dans l’optique d’une seule et même espèce, mais pour la survie d’une petite communauté. C’est d’ailleurs l’une de vos activités favorites : vous regrouper en communautés, toujours plus petites, toujours plus restrictives, et entrer en conflit avec d’autres. Plutôt que de vous en servir pour vous trouver des points communs, vous pensez qu’elles vous singularisent, alors qu’elles n’ont pour seul effet que de vous noyer dans la foule. Vous ne devriez appartenir qu’à une seule communauté, celle des humains, et considérer chacun d’entre vous comme un personnage unique, quel qu’il soit. Regardez autour de vous, lorsque vous vous levez le matin. Vos gouvernements changent mais, la pauvreté disparaît-elle pour autant ? Vos semblables vivent dehors, dans le froid, cela vous parait-il normal ? Jugez-vous valoir moins, en tant qu’individu, que celui qui gagne et possède plus que vous ? Pensez-vous être supérieur à celui qui possède moins de richesse que vous ? A votre stade, votre réflexion devrait être d’une extrême simplicité, en jugeant votre situation avec objectivité et de façon concrète. Ne pensez plus à l’Histoire de vos nations, à vos sciences, religions et grands philosophes. Jugez simplement l’instant présent, et observez à quel point, au sein de la même espèce, vous êtes inégaux, malgré tous vos beaux discours pour affirmer le contraire. Observez cette réalité et ce constat sans équivoque.

5 – Vos objectifs : le bonheur et le paradis

Alors, pour échapper à cette réalité inacceptable (car une part de vous, la part animale, se rend bien compte de l’illogisme de la situation ) : vous rêvez. Nous vous l’avons déjà dit, votre capacité à créer de l’imaginaire, du merveilleux, nous surprend et nous fascine. Vous rêvez de religions, de fantastique et de paradis. Nous respectons cela, et notre devoir n’est pas de vous dire si vos croyances s’avèrent vraies ou fausses : vous l’apprendrez par vous-même, et ce que vous nommez votre « foi » est quelque chose que nous respectons. Ces religions sont positives, du moins au premier abord, car elles peuvent vous élever spirituellement, vous permettre de vous rapprocher les uns les autres et de prôner la paix. Une fois encore, elles ne servent, au final, qu’à vous regrouper en communautés, à vous battre et vous éloigner. Qui plus est, au sein même de ces religions se retrouvent d’autres subdivisions qui vous déchirent un peu plus.

Humains, vous rêvez du paradis, vous espérez un jour y aller et tous vous y réconcilier. Mais soyons réalistes : qu’espérez-vous trouver ? Un monde idyllique, où tout le monde à une place, où chacun serait libre et heureux ? Un monde fait de richesses naturelles, de paysages magnifique, de pureté et de paix ? Un monde d’égalité et de tolérance ?

Mais le paradis, humains, vous y êtes !

Vos richesses sont là, votre planète est l’une des plus généreuses de tout l’univers. Pourquoi ne pas créer maintenant ce paradis dont vous rêvez ? Pourquoi ne pas penser de façon commune et marcher main dans la main ? Nous n’arrivons pas à expliquer à quel moment votre individualité a pris le dessus. Ne vous méprenez pas sur nos propos. Nous ne tenons pas à ce que vous soyez tous similaires. Au contraire, nous aimons ces individualités. Nous aimons lorsque les humains, d’une seule voix, disent qu’ils sont plusieurs. Voilà ce en quoi nous croyons et vers quoi vous devriez tendre. Unis mais uniques, semblables mais originaux.

Notre avancée scientifique et intellectuelle est incapable de répondre à vos paradoxes. Votre génie n’a d’égal que votre bêtise, et vous sombrez dans la spirale d’un chaos contrôlé. Vous courez à votre perte mais vous y allez sur un tapis rouge. Curieuse espèce…

Nous sommes déçus de ne pas vous choisir, car vous possédez un potentiel énorme. Nous gardons l’espoir infime que votre rédemption arrivera un jour et que vous serez alors prêts, humains, à nous suivre, dans la quête du savoir et du pacifisme.

Universellement,

Bertrand


3 Comments

  1. Bertrand janvier 16, 2014 3:38  

    P.S : Je me suis permis de vous emprunter quelques bouteilles de whisky, à des fins d’analyse.

  2. SpaceliKen janvier 16, 2014 3:50  

    Aucun souci. Prévenez-moi la prochaine fois, vous pourrez emprunter autre chose que des bouteilles vides 🙂

  3. Dylan55102 février 4, 2014 5:05  

    Ah ah Caliken, j’aimerai qu’il y est plus de gens qui pensent comme toi. Malheureusement l’espèce humaine n’est qu’un animal, un animal certes très intelligent mais un animal quand même…. en fait non, les humains sont pires que des animaux car l’humain est la seule espèce qui parvient à ce détruire elle même à petit feu.

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