Et le mercure descend et, debout, je l’attends
Demain, ou après, je ne sais pas, les yeux pointés vers le ciel, j’attendrai que les premières notes dégringolent. Que l’anthracite blanchisse avant de tomber par terre. Une note pour chaque flocon qui touche le sol. Une note sans mélodie.
Ces paysages figés, ces putains de paysages figés.
Je les ai connus et je les ai traversés ces paysages ! A l’époque où le Corail fonçait tant bien que mal à travers les plaines glacées… Les voir passer, ne pas rester planté dedans, c’était rassurant. Mais être piégé à l’intérieur, tandis que plus rien ne bouge et que le silence et le froid sont de mise, alors c’est que l’hiver approche, comme dirait l’autre, avec sa flopée de souvenirs. Je te parle pas des souvenirs pépérous près de la cheminée, avec pull en laine, chaussons confortables, Jack Daniel dans les mains et Jack Russel à tes pieds. Je te parle de cet hiver qui te ronge de l’intérieur, de celui qui te fait aller mal alors que tu devrais aller bien, quand tu te dis que la chaleur est trop chère pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un chez soi. Chianli.
La neige.
La neige est belle. Une belle pute. La neige ne ment pas, et en même temps, elle te masque la vérité. Elle te montre volontiers les pas que tu as fait, mais elle saura aussi te recouvrir certaines traces. Pour mieux te perdre. Pour mieux te pourrir. Les traces rouges sont plus difficilement masquables, mais elles peuvent disparaitre également. Disparaitre et revenir. Il suffit de creuser un peu pour les retrouver, à peine cachées. Rouge et blanc, rouge et blanc, rouge et blanc. Mais ce n’est pas du vin. Je suis paumé dans la neige, et je ne retrouve pas mes traces. Je devrais creuser pour les retrouver, mais j’ai peur d’y voir du rouge.
La neige.
La neige te recouvre si tu n’avances pas, alors tu avances, un peu ou beaucoup, c’est toi qui vois. Avancer sans courir, parce que courir dans la neige, c’est difficile, alors tu t’y casses la tronche. J’ai toujours eu du mal à rester sans bouger. Me poser, m’arrêter : c’est geler. J’ai pas envie de geler, alors je préfère brûler un peu. Faire chauffer la machine et la roussir légèrement pour pas qu’elle tombe en panne.
On vit tous ses périodes de neige. Et parfois, on les aime quand même. Certains glissent dessus, d’autres s’y enterrent.
Moi, pourtant, j’aime la neige… Quand même… Parce que je la connais depuis longtemps, que je l’ai adoptée, et que j’ai appris à glisser dessus, comme tant d’autres personnes. A chaque découverte d’un flocon, tu crois avoir tout compris, tu penses pouvoir sortir une vérité profonde et l’enseigner aux autres. Mais tu apprends à te taire. Les flocons sont un nombre infini, et tu n’es pas le seul à découvrir les enseignements de la neige. D’autres ont déjà appris bien plus. Ceux-la même que tu n’écoutais pas à l’époque. De la neige dans les oreilles ? Je ne crois pas. Juste du vent. Ou de la merde.
Toi, peut-être que tu aimes la neige. Tu la trouves belle, de près comme de loin. De loin, elle te parait si vivante, si mouvante, comme un doux manteau… une douce piscine dans laquelle tu aimerais plonger. De près, de giga près, elle est parfaite, impeccables cristaux aux formes divines. Mais quand tu plonges ta main à l’intérieur, tu t’y brûles, pauvre naïf.
Alors tu attends que la neige fonde.
Et quand la neige fondra, tu t’apercevras que ce n’étaient que des larmes.