Le poids des années est un croupier ivre. Il distribue les cartes aléatoirement : certaines sont bonnes, d’autres non. Ceux qui ont de mauvaises cartes vieillissent mal et flétrissent avant l’heure. Il en va ainsi du lait périmé, de Pamela Anderson ou encore de la tecktonik. A l’inverse, d’aucuns vieillissent bien mieux (ou ne vieillissent tout simplement pas, comme Keanu Reeves), comme le bon vin, ou certains jeux vidéosses.
Tel une bonne bouteille de Bordeaux oubliée dans sa cave, la dégustation de la presse vidéoludique des années 80-90 est savoureuse. Le bouquin dont je vais vous parler est un condensé de nostalgie, de bonne humeur et de ce brin de mauvaise foie qu’on a toujours un peu en se disant que c’était forcément mieux avant.
J’m Destroy
Derrière ce pseudonyme étrange se cache Jean-Marc Demoly, journaliste emblématique, si ce n’est culte, des années 90 de la presse spécialisée de l’époque. De la fin des années 70, avec son premier contact avec les jeux vidéo, jusqu’au début des années 2000, J’m Destroy nous raconte, à travers moults anecdotes, son parcours professionnel mais également l’évolution des jeux vidéo et de leur réception, dans le monde et en France, en 80 et 90. Et c’est un régal. D’abord pigiste, J’m devient petit à petit rédacteur en chef, notamment celui d’un magazine clefs pour moi, à l’époque, Super Power. C’est d’ailleurs avec incrédulité que j’ai appris qu’il n’était autre que Sumo, la mascotte de mon mensuel fétiche.
Autre époque
J’m Destroy, c’est le genre de passionné qui bossait à la boulangerie en sortant de l’école pour se payer ses cartouches de jeux vidéo, le genre de type devenu « pirate » pour financer sa passion, et qui n’hésite pas à en parler librement, le genre de type qui écumait les salles d’arcade et autres lieux forts en jeux vidéo pour étancher sa soif vidéoludique. Loin de notre époque de fragiles, on retrouve dans ce bouquin une atmosphère propre à ces années magiques où jeu vidéo rimait avec débrouillardise, mystères, rumeurs et autres folies. Souvenirs : Les quelques photos des magazines nous faisaient rêver et imaginer monts et merveilles, les rumeurs improbables sur des jeux qui n’existaient pas, bref, la quasi absence d’Internet dans les foyers changeait grandement la donne. Les jeux étaient parfois pourris, même souvent, mais on prenait le risque. Le journaliste pouvait dire tout et n’importe quoi, c’était souvent le seul à avoir des infos sur les jeux à sortir et on buvait ses infos.
Condensé de plaisir
Retrouver le style de l’époque, pas toujours académique (non, J’M Destroy n’est pas Molière, ses phrases sont parfois mal foutues, mais quelle spontanéité il y a dedans !), les photos, les jeux, les bouleversements de l’industrie du jeu vidéo, dans le monde et en France : quelle claque. Un temps où l’industrie et le journalisme se prenaient moins au sérieux : des articles plus légers, sur un ton de déconne pas toujours très pro, mais tellement agréables à lire. Cette atmosphère, j’ai pu la goûter à l’époque, encore enfant, lorsque j’ai ouvert mon premier Super Power, mon tout premier magazine traitant du jeu vidéo. Je parcourais ses pages en lisant des choses que je ne comprenais pas toujours, j’imaginais monts et merveilles concernant des jeux auxquels je ne jouerai jamais et dont je ne voyais que deux ou trois photos.
Ce bouquin fleure bon ce parfum nostalgique, ces anecdotes croustillantes, et fera vibrer l’échine de n’importe quel joueur ayant tâté du jeu vidéo entre fin 70 et fin 90. En ça, je ne peux que vous conseiller chaudement sa lecture.
Ce serait idiot de dire que maintenant, c’est moins bien. Les jeux sont devenus extraordinaire, les titres excellents s’enchaînent, les consoles sont puissantes, les styles de jeux nombreux… Pour autant, quelque chose d’autre est parti, de moins palpable. Une spontanéité peut-être, une ambiance. Ou tout simplement l’insouciance de la jeunesse ?
T’as vieilli CaliKen.