[Book’o’Pif] 1984

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Il est des bouquins qu’on est un peu obligé d’avoir lu et qui, même si on ne les a même pas feuilletés, font parti de l’inconscient collectif à plus d’un titre. Qui ne s’est jamais retrouvé dans une conversation portant sur l’actualité, le gouvernement, Internet ou encore la télé réalité, et n’a pas entendu dire : « On se rapproche de plus en plus de 1984« , ou encore « Big Brother is Watching You« . S’il y avait donc un livre à lire, dans l’impressionnante liste des bouquins que je n’ai pas encore lus, il fallait que je choisisse, tôt ou tard, 1984, de Monsieur Georges Orwell. Maintenant que c’est chose faite, il convient de vous en parler un peu. Soit pour vous conseiller de le lire ou, si vous l’avez déjà fait, pour lancer un ou deux débats avec ouverture sur le monde actuel, regards inspirés et petit frisson de peur.

Le sujet

L’histoire se passe dans un 1984 alternatif (le roman a été écrit à la fin des années 40, alors que l’auteur découvre le début de la Guerre Froide). Auto clin d’œil à votre humble serviteur puisque CaliKen a vu le jour cette même année. Le héros, si c’en est un (parlons plutôt de protagoniste principal), est un membre du Ministère de la Vérité, Winston Smith. Son boulot est de réécrire et de modifier les différentes archives journalistiques (notamment le Time) pour qu’elles coïncident à la réalité. Parce que oui, dans ce 1984 là, le « gouvernement », altère la réalité. Ainsi, si la guerre contre une des deux autres super nations est modifiée, et que l’ennemi numéro 1 change, alors, il faut qu’il y ait toujours eu la guerre contre lui, et que le passé soit modifié en conséquence. C’est comme ça la vie, et oui. Pareil pour les personnalités que le gouvernement a jugé bon d’effacer. Elles disparaissent simplement… du présent et donc du futur, ça c’est logique, mais également du passé. En quelque sorte, elles n’ont jamais existé. Si ça vous rappelle quelques phototrucages de la bonne époque du stalinisme, c’est normal, Orwell ne s’en cache pas :

 Voilà ce qu’on faisait à l’époque, grâce à l’excellent truqueur russe Fot Oshop.

L’intrigue

Winston pourrait être un bon travailleur, qui ne se pose pas de question, lobotomisé par la propagande non stop, et ces fameux télécrans, sorte de télévisions impossibles à éteindre, et capable aussi bien d’émettre que d’observer… mais il s’avère que ce cher Winston Smith a des doutes. Des doutes quant à son boulot, à la toute puissance du « Parti », des doutes sur la guerre contre l’Estasia et l’Eurasia, et même sur l’existence du leader du parti, « Big Brother », dont les affiches couvrent chaque mur, chaque coin d’immeuble et dont le regard semble scruter chacun de nos faits et gestes. Winston n’est pas en adéquation avec son temps, et il vit pourtant, sans montrer la moindre expression sur son visage, car les télécrans scrutent chaque anomalie jusqu’au moindre détail. Dans une société où une nouvelle langue se forme, supprimant beaucoup de mots et de significations pour réduire le champs de la pensée, où les enfants sont entraînés à dénoncer les éventuels comportements suspects de leurs parents, Winston entraperçoit pourtant un mince espoir, en la personne d’un supérieur. Mais est-ce qu’un simple regard, échangé lors des fameuses « Deux minutes de la Haine » où tous les employés hurlent contre les ennemis du Parti, diffusées pendant deux minutes lors d’une émission, est révélateur ? Est-ce que ce membre du Parti Intérieur, qui fascine Winston, fait parti de la « Fraternité », ce mouvement qui agit, dans l’ombre, contre le Parti ? Comment faire, dans un monde où chacun de nos faits et gestes est épié, pour le contacter ? Et pourquoi ne pas insérer une histoire d’amour aussi, à côté de ça ? Pour faire plaisir à CaliKen ?

 

Winston Smith, interprété par John Hurt, dans la version ciné de 1984 de Michael Radford. Derrière lui, les yeux de Big Brother.

Bien ou pas ?

On ne va pas tourner autour du pot, bien que ma réponse soit subjective : non, 1984 ne se fait pas l’écho total de ce que nous vivons aujourd’hui. En bien des points, Georges Orwell n’est pas visionnaire, et beaucoup de phénomènes importants, pratiquement impensables lors de la parution du roman, n’y sont pas, notamment Internet, énorme vecteur de communication, qui rendrait impossible cette vision du monde où personne ne peut se parler. En d’autres points également, la vision de l’auteur est avant tout anti-communiste. Les trois grandes supernations que sont l’Océania, l’Estasia et l’Eurasia sont extrêmement influencées par le bolchevisme de l’époque et la peur qu’engendrait alors le Stalinisme. L’époque capitaliste apparait comme un passé inconnu, que le protagoniste principal tente de comprendre, afin de trouver un élément de comparaison avec l’histoire actuelle. A aucun moment, Orwell ne va prendre parti pour le capitalisme, mais force est de constater qu’il n’est pas LA menace de son roman. Je ne m’amuserai pas à spéculer sur la vie privée d’Orwell, qui aurait peut-être donné quelques noms de personnalités américaines communistes avant sa mort, en plein maccarthysme, théorie réfutée en bien des points, qui ne m’intéresse pas vraiment et qui ne change pas vraiment la teneur du bouquin. La vérité est que 1984 survole un peu certains thèmes et qu’il n’est pas totalement en adéquation avec ce que nous vivons aujourd’hui, notamment dans les démonstrations les plus extrêmes auxquelles se livre le « Parti ». CEPENDANT, et c’est bien là que ce livre est génial, ce n’est pas sur le détail que le livre surprend par son actualité, mais sur le fond et sur la réflexion qu’il amène. Car dans une société où chacun peut, suivant les pays bien sûr, prendre la parole et accéder à l’information, il ne faut pas oublier que celle-ci nous est fourni par une poignée de médias, souvent peu scrupuleux. Gros parallèle également entre le flicage des « télécrans » et celui d’internet aujourd’hui et de ses éventuelles dérives. Internet, à la fois moyen extraordinaire de partage du savoir, de liberté d’expression et de partage des points de vues, mais également possibilité de surveiller l’autre, d’insinuer et de propager diverses idées plus ou moins douteuses voire même, de mettre en avant une certaine pensée unique sous couvert de bonne volonté. Il aurait été d’ailleurs intéressant de voir ce qu’Orwell aurait pensé du net et de ses possibilités, bonnes comme mauvaises. C’est donc finalement dans l’ambiance générale, dans ce climat de soupçon, de propagande implicite et de conditionnement de l’être humain que 1984 fait froid dans le dos, et non pour ce décor sale, délabré et industriel d’un Londres alternatif, ou cette guerre perpétuelle et vaine, résultant plus du traumatisme d’après guerre vécu par Orwell et ses contemporains.

En conclusion

Je pourrais parler des heures de 1984 et du coup de massue qu’il m’a mis derrière la nuque. Mais, pour être formel et très terre à terre, je me contenterai de vous conseiller de le lire, ne serait-ce que pour votre culture personnelle, et aussi, avouons-le, parce qu’il est bien écrit et qu’il se laisse dévorer avec plaisir.