Il y a 7 ans, presque jour pour jour, j’avais écris un billet sur la déréalisation. En effet, ce trouble dissociatif qui me poursuit depuis mon adolescence continue de me pourrir la vie, et j’ai décidé, grâce à mon très bon généraliste, de passer la vitesse supérieure pour guérir, ou du moins, avancer.
En 2022 j’ai donc suivi l’étude PERSONA, et je vais vous en parler ici.
La déréalisation
Pour résumer : la déréalisation, que l’on met souvent de paire avec la dépersonnalisation, est un trouble dissociatif qui sépare, pour la personne affectée, son corps ou son fonctionnement mental, du monde extérieur. En gros, avec la dépersonnalisation, on a l’impression d’être étranger à soi. Avec la déréalisation, et c’est mon cas, on a l’impression que c’est le monde extérieur qui n’est pas réel. J’ai l’impression constante que rien n’est vrai, et que je vis dans un rêve éveillé, très réaliste, mais dont je vais me sortir, à un moment donné. Voilà pour le résumé, rapide, de la situation.
Ces dernières années, ce trouble est de plus en plus sérieusement diagnostiqué, étudié et soigné. Aux origines, on y retrouve souvent une grande angoisse, de la dépression, des troubles anxieux généralisés et d’autres facteurs antérieurs qui ont pu affecter le malade. Thérapie comportementale et cognitive, séances de psychothérapie, prise d’antidépresseur, sophrologie ou autres médicaments ciblés peuvent donc au mieux chasser les symptômes, ou, du moins, diminuer les angoisses et rendre le sentiment de déréalisation moins intense et/ou moins dur à gérer.
J’ai mis un nom sur ce trouble il y a une quinzaine d’années à peine, et j’ai commencé à vouloir la combattre sérieusement à l’arrivée de mes enfants. Dur de jouer avec eux, de passer de bons moments, avec cette mélodie dissonante derrière qui n’arrête pas de me chuchoter à l’oreille « ce n’est pas réel » et qui impose ce voile constant devant mes yeux et ma perception des choses.
Saint-Anne
Comme toujours dans les soucis de santé, et encore plus dans les problèmes peu communs et d’ordres mentaux, il est d’abord primordial de trouver un interlocuteur de qualité. J’écrivais plus haut que la déréalisation commence à être sérieusement étudiée, mais elle n’en reste pas moins très peu connue du grand public et, malheureusement, également du corps médical. Nombreux furent les médecins généralistes, ou même psychiatres et psychologues à ouvrir de grands yeux quand je leur présentais mes symptômes. Je vous passe les détails parfois très tristes, avec cette impression, au mieux, de parler dans le vide ; au pire, de passer pour un fou : mais il faut souvent avoir la tête sur les épaules face au regard extérieur, surtout médical. Pas facile d’être solide dans ce cas là, quand on est déjà dans le dur à cause de la maladie.
Heureusement, bien entouré familialement et amicalement, j’ai eu les ressources et la chance de trouver une médecin généraliste absolument géniale. Jeune, formée, compétente et humaine, elle connaissait la déréalisation et a su m’écouter, me parler et m’aiguiller. Et pour les soucis liés à la cervelle, mon p’tit père, le meilleur endroit à Paris, que dis-je, en France, ou même au Monde, c’est l’hôpital Saint-Anne. Bon, ça fait toujours un peu bizarre de devoir y aller, parce qu’on a un peu l’impression qu’on va être assimilé à un fou, mais au moins, on rentre dans un circuit officiel, avec des gens qui bossent sur le sujet.
Une entrée que je connais désormais par cœur
Car oui, en ce moment se clôt justement une grande étude, appelé PERSONA, et qui a regroupé une centaine de patients atteints de déréalisation/dépersonnalisation. Pour les surveiller, les étudier, les disséquer, et leur proposer un traitement, tout en faisant avancer la recherche.
L’étude PERSONA
L’étude PERSONA, c’est quoi donc ? Et bien, dans les grandes lignes, son objectif est de mieux comprendre ce qui se passe dans notre cerveau lorsqu’on a de la déréalisation/dépersonnalisation et tenter de la soigner. La soigner comment ma petite Gisèle ? Et bien avec une méthode qui a déjà fait ses preuves face à la dépression et d’autres maladies : la stimulation magnétique transcrânienne, (une technique de stimulation cérébrale non invasive et indolore, dixit l’étude, et l’ayant faite, je confirme).
Parlons peu, parlons bien, après avoir eu un petit papier de ma super généraliste pour Saint-Anne, j’ai réussi à intégrer l’étude, en tant qu’avant dernier patient, si je ne dis pas de bêtises. Limite-limite ! Concrètement, ça se passe comment ? Des rendez-vous avec une psychiatre, chargée de suivre un peu l’ensemble du protocole. Quelques IRM du cerveau, avant et après la série de séances de stimulation magnétique transcrânienne, d’autres rendez-vous, notamment pour évaluer, il me semble, mes facultés cognitives, et autres, et puis donc, les fameuses séances de stimulation transcrânienne qu’on appelle, dans le jargon des spécialistes et des patients, rTMS.
L’IRM préalable aura permis de cibler la zone du cerveau sur laquelle on veut travailler. La rTMS agit, grâce à un léger courant électrique, pour essayer de redynamiser la partie cérébrale qui, selon les chercheurs, fonctionne trop peu chez les patients atteints de dépersonnalisation/déréalisation (là aussi, on va dire dp/dr pour aller plus vite).
Très concrètement : 15 séances de 30 minutes, sans bouger, avec une électrode sur le front, et un « tac » toutes les secondes, en essayant de viser la zone indiquée sur l’écran en face de moi, qui représentait la cible sur mon cerveau. Clairement pas une torture, mais dur de rester immobile sans s’endormir, pour ma part, ce qui, au bout de 30 minutes (et de deux séances par jour) avait quand même le don de me coller une grosse fatigue pour le reste de la journée. Tu veux voir à quoi ça ressemble ?
(si la vidéo marche pas, tu peux cliquer là)
https://www.youtube.com/shorts/f2gyCKMp4CY?feature=share
Tout ça, c’était en 2022, au mois de Juin.
Placebo or not Placebo
Parce que, protocole oblige, la moitié des patients avait un traitement actif, tandis que l’autre avait un placebo. En gros, pour les patients placebo, la bobine chargée de nous envoyer du courant ne fonctionnait pas. Et ça, mon petit coco, on est averti dès le début d’avoir une chance sur deux d’être dans l’un des groupes. Une fois lancé, le protocole nous met face à un « double aveugle » qui implique que personne, pas même ton psy, ne sait si tu as eu le traitement actif ou le placebo.
Il se trouve que, lors de mon traitement en Juin, le fait d’avoir été pris en charge par une équipe au top, de parler de mes troubles, que ma compagne a, pour la première fois, appelé maladie, de savoir que d’autres patients souffrent aussi de dp/dr et puis de voir d’autres personnes dans un état qui me semblait bien pire que le mien, à Saint-Anne… et bien tout ça m’a en grande partie tiré vers le haut. La déréalisation était toujours présente, mais l’anxiété qui m’accompagnait régulièrement semblait s’être envolée en grande partie. Ce qui, je ne vais pas te le cacher, était un gros plus.
Mes multiples rendez-vous et le point que je faisais tous les mois avec la psy de Saint-Anne ajoutaient tout de même un bémol à la situation. Ne plus être anxieux, c’est bien, mais ce que l’on attend du traitement de rTMS, c’est de guérir la déréalisation, et non pas l’anxiété. Aussi quand, début Novembre, on a enfin levé le double aveugle, c’est avec soulagement que ma psychiatre m’a dit que j’avais eu le placebo. La petite cerise sur le gâteau étant que, contrairement à d’autres protocoles, PERSONA offre la possibilité de donner le traitement actif aux patients n’ayant eu que le placebo. Du coup, hop, j’étais reparti pour des séances, mais cette fois, des vraies. Et là, je te le dis tout de go, je n’ai pas senti de vrai changement lors des séances. J’aurais été incapable de distinguer le placebo du traitement actif si on m’avait fait tester les deux avant.
Du coup, Novembre 2022, je repars sur 15 séances de réelle rTMS. Deux par jour, le matin, espacées d’une heure et demi de repos, pour se « remettre » parce que, mine de rien, ça fatigue. A l’époque je suis sur une sorte de remontada de la vie. Je suis heureux, le taff se passe bien, mon anxiété a été mise de côté, je déchire tout au sport et je prépare le marathon de Deauville que je vais éclater au sol avec mon meilleur temps, et j’aime ma petite famille et mon petit chat. Tout va bien.
Mais comme dirait les plus mauvais sites de l’interweb du troisième millénaire : la suite va vous surprendre.
Une fin d’année bif bouf
Le Dimanche 19 Novembre, quelques jours après mon traitement actif, je termine le Marathon de Deauville avec mon meilleur temps jusqu’alors. Je me sens bien dans ma tête, toujours déréalisé certes, bien dans ma peau, car j’ai perdu du poids et je me sens enfin bien, je suis apaisé face à certaines choses qui m’angoissent actuellement, j’ai ma petite famille et, si tout se passe bien, j’aurais les résultats d’un examen pro qui décidera d’une promotion interne au travail. Que demande le peuple ?
Moi à l’arrivée du Marathon de Deauville
Alors certes, la véritable rTMS m’a filé un petit effet secondaire, juste le temps d’un week-end, avec un moment d’angoisse pas top, lors d’une balade à Paris, mais rien d’insurmontable, et puis, surtout, cela a de grandes chances de vouloir dire que le traitement fonctionne. Je rentre de mon week-end à Deauville, tout va bien !
Et puis, patatra.
Je pensais l’avoir réussi, je rate mon examen pro à 0,22 points. Regrets de n’avoir pas suffisamment bossé, colère d’être écarté d’une promotion pour seulement quelques points, et frustration de rester au même niveau professionnel depuis plus de 13 ans, alors que j’aurais pu enfin passer cadre. Pas grave, on se ressaisi ! Il y a un concours de la fonction publique, dur, certes, mais je vais justement suivre une préparation pour y arriver. Là, je vais bucher comme il se doit, et ils vont voir ce que ça donne quand je mets les bouchées doubles !
…
Ouais… Ils vont surtout voir que l’inscription à ce concours est terminée et qu’elle avait lieu justement pendant mon arrêt de travail et mes séances de rTMS et que je suis totalement passé à côté. Donc, là encore, nouveau gros fail. Je suis un âne.
Les jours passent et ma déréalisation devrait normalement commencer à disparaitre, puisque les premiers résultats d’évolution arrivent généralement deux semaines environ après le traitement. Mais, rien, nada : je vis toujours dans un rêve permanent. On continue d’y croire et de positiver, car ce n’est pas en déprimant que les choses vont changer.
C’est là qu’arrive le pire, puisque mon Eikichi d’amour, mon Chichi, mon chat depuis plus de 12 ans, décide de rejoindre le paradis des matous. Il fait les choses rapidement, sans prévenir et, alors que j’essaie de le veiller toute la nuit mais décide de me recoucher quelques instants dans mon lit, pour cause d’état grippal, il décide de partir quand personne n’est à côté de lui. Je m’en veux terriblement, et je n’arrive pas même à faire son deuil car je reste à l’appartement avec ma fille qui a chopé au mieux une angine, au pire, la scarlatine. Coincé pendant deux jours, assommé par la tristesse, la fatigue et la maladie, là, je dois avouer que j’ai du mal à remonter la pente. La bienveillance de ma famille, mes amis et mes collègues me raccroche à quelque chose, et on clôture 2022 en espérant que 2023 soit plus doux… Mais, après un nouveau check-up avec ma psy, je sens bien que le traitement n’a pas eu d’effet.
Shit.
Et maintenant ?
2023 commence, et on décide, comme on le dit par chez moi, de reprendre du poil de la bite. Un nouveau marathon à venir, celui d’Annecy cette fois. Une nouvelle inscription à un examen, pour 2024. Et puis aussi, une salle de sport qui ouvre à côté de chez moi pour me vider la tête et l’esprit. Et enfin, et surtout des enfants et une femme que j’aime. Rien que ça, c’est déjà une base solide et que j’ai une chance infinie d’avoir. Eikichi me manque énormément, son absence est violente dans la maison, mais on tient le cap.
D’un point de vue médical, c’est plus complexe, mais il reste encore des alternatives. D’abord, continuer de creuser toutes les options. Sophrologie, car cela avait un peu marché, hypnose, thérapie cognitivo- comportementale et même un détour du côté ORL, car il peut y avoir un lien, parfois, avec l’appareil vestibulaire.
Parce qu’ensuite, le traitement d’après, c’est un médicament antiépileptique qui, s’il a l’air efficace, fait un peu peur, de part son nom, et de part les effets secondaires qu’il peu induire. Il faut donc peser le pour et le contre, et comme le disait mon psy TCC justement : il est urgent de prendre son temps. Cependant, si jamais je n’avance pas plus, il est clair que je m’orienterai vers ça, parce que, vraiment, on rigole on rigole, mais vivre en permanence dans l’irréel, c’est pas top, et je pèse mes mots.
Voilà, ce fut long, ce fut laborieux, ce fut pas beaucoup de billets de blogs pendant un petit moment, mais peut-être que tu comprends mieux pourquoi, mon petit Mohamed-Kévin ?
Sur ce, je vous laisse les amis. Prenez soin de vous, surtout.
Je suis passé par la il y a maintenant une petite dizaines d’années. Je ne mens pas en disant que ce fut la pire période de ma vie, je suis donc bien placer pour comprendre ce que tu dois endurer. Pour cause, je me suis beaucoup retrouvé dans ton article. Cette sensation de ne pas être compris, notamment du corps médical.
Tu as tout mon soutien, et j’espère que tu trouvera rapidement un traitement efficace pour toi. Aussi, toute mes condoléance pour ton chat, c’est très dur de perdre un animal, surtout après tant d’années.