-Marie, dépêche-toi ! Me crie maman depuis le salon. Tu vas arriver en retard pour ta remise de clefs à Jadielle !
Je sors de ma chambre et descends les escaliers. Elle est debout et me regarde avec un grand sourire. Malgré la maladie qui la ronge, elle est restée incroyablement belle. J’aimerais tant lui ressembler plus tard. Ses longs cheveux blonds cendrés sont incroyablement bien entretenus, elle passe beaucoup de temps à s’occuper de son physique et fait en sorte de ne pas montrer la moindre trace de sa maladie, ni de sa maigreur, de plus en plus inquiétante. Assis devant son petit déjeuner, qu’elle touchera à peine, elle a sa tête posée sur une main et me regarde avec malice. Ses grands yeux noirs m’observent, rieurs.
-Tu vas prendre le train ou le bus ?
-Je ne sais pas, je verrai à Stalavi.
Stalavi, c’est la ville au pied des montagnes. La plus grande ville proche de Colina. Enfin, ce n’est pas vraiment une très grande ville, plutôt un gros village. Mais il a le mérite d’avoir plusieurs bus qui vont, notamment, à Jadielle. Pas chers, et on y est en moins de deux heures. Encore mieux, le train est parfois direct et met seulement quarante minutes ! Le plus long finalement, c’est d’attendre le vieux bus qui fait Colina / Stalavi… Mais j’ai mon petit tour de passe-passe pour y remédier. J’en parlerai ultérieurement !
-Tu as bien tout pris ma grande ?
-Et toi ?
Je regarde la table où ma mère pose ses médicaments. Elle néglige son traitement depuis quelques temps, et cela me fait peur.
-Ne t’occupe pas de moi ! L’infirmier vient tous les matins et il surveille tout ! Bon, alors, tu as tes Pokémons sur toi ?
-Oui !
-Bien entraînés ? Tu vas encore chercher des Champions d’Arènes que tu n’as pas vaincu ?
-Ils commencent à se faire rare !
Avec un petit sourire taquin, et les yeux presque clos, je montre mon petit sac à dos du doigt. A l’intérieur : les 24 badges d’arènes que je possède depuis des années. Il faut dire que je me débrouille plutôt bien en dressage, et en capture. Je possède d’ailleurs des Pokémons assez rares et vraiment super forts. Ça aussi, j’en parlerai plus tard ! Ma mère sourit également, je la vois cependant froncer les sourcils un court laps de temps. Elle pense peut-être que je ne le vois pas, mais je sais quand ses douleurs reviennent. Un silence s’installe, elle se lève et s’approche de moi, le sourire aux lèvres.
-Tu deviens une véritable petite femme, Marie. Ton propre appartement, ta petite vie… il est temps pour toi de déployer tes ailes, petit Papilusion !
-Je repasserai souvent.
-On en a déjà discuté ma puce. Fais ta vie ! Je ne veux pas te voir tous les jours ici, moi aussi j’ai besoin d’indépendance.
Je retiens mes larmes et viens câliner ma mère. Après quelques instants à ne rien dire, je la lâche. Mon au revoir ne vient pas, il reste bloqué dans ma gorge et je ne peux que le murmurer. Ma mère ne pleure pas, elle me regarde avec tendresse. Je sais qu’elle souhaite que je parte, que je ne la vois pas plus se dégrader. Si cela ne tenait qu’à elle, elle voudrait même que je ne revienne jamais. Ce n’est pas la maladie qui la fait le plus souffrir, c’est le regard que je lui porte, du moins, que je risquerais de lui porter si son état continuait d’empirer. Elle sait aussi que même sans moi, entre les infirmiers et l’aide de ma tante, elle aura toujours quelqu’un pour l’aider à la maison. Je me retourne d’un coup et je sors. Mon village est peut-être un peu trop calme, mais il n’en demeure pas moins magnifique. Les petites montagnes s’étendent à perte de vu, et ont cette particularité, dans ce coin de la région, d’être très rondes, telles de grandes collines, d’où le nom de Colina. Mais plus bas, le relief se fait plus escarpé, car nous sommes situés sur un plateau. L’accès à mon village est assez abrupt et seule une petite route y mène. Aucun bus ne descend dans la vallée avant une heure, et je n’ai pas envie d’attendre. Je regarde une dernière fois ce village que je quitte pour la ville, la vraie. Les petites maisons, les fermes, les champs dans lesquels je jouais, petite… Je sors une Pokéball et appelle mon Dracafeu. Il se cambre de toute sa hauteur et pousse son cri rauque, se dégourdissant en un geste. A peine me voit-il que son regard se fait tendre. Il baisse le crâne et le dirige vers moi en souriant.
-Nous allons descendre ! Laisse-moi grimper sur ton dos ma belle !
Mon Dracafeu est, en effet, une femelle, mais comme pour tous les Pokémons, nous avons pour habitude de dire « il » pour n’importe quel genre de Pokémon, même une femelle. Il me présente donc son flan, se baisse, et d’un saut énergique, je me retrouve sur son dos. En quelques battements d’ailes, nous voilà déjà à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Je regarde une derrière fois ce village tandis que mon Pokémon accélère et se dirige vers la vallée, rasant les parois escarpées et filant comme une flèche vers Stalavi. Il faut quelques minutes seulement à mon Dracafeu pour arriver dans la vallée et atterrir, avec panache, en périphérie de Stalavi (il est souvent interdit d’utiliser son Pokémon comme moyen de transport en pleine ville). Après l’avoir rappelé dans sa Pokéball, je me dirige d’un pas rapide vers la gare routière. Un bus part dans 15 minutes, j’ai de la chance. J’ai même le temps de voir un train arriver au loin, vers la gare ferroviaire, à quelques dizaines de mètres de ma position. Pas de doute, c’est l’express en provenance de Néon-City, et il va ainsi jusqu’à Doublon-Ville, à Johto. Au pas de courses, je file vers la gare, tenant les lanières de mon sac à dos afin qu’il ne bouge pas trop sur mon dos tandis que je cours. En quelques instants, j’arrive devant le guichet, achète rapidement un billet et saute dans le train qui arrive à peine.
Me voilà posée face à la fenêtre, tandis que l’express redémarre tranquillement. Jadielle est le prochain arrêt, j’y arrive dans peu de temps. J’observe le paysage défiler devant mes yeux et essaye de réfléchir au futur, sans laisser la moindre chance au passé de revenir me blesser. Je ne suis pas vieille, c’est sûr, mais la vie m’a appris une chose : on n’oublie jamais le passé. Je n’oublierai rien de ce que j’ai vécu à Colina, rien de ma famille, de mes amis, de mes amours, alors je peux ne plus y penser pour le moment, croquer dans la vie à pleine dent sans frein, sans arrière pensée. Lorsque j’aurai suffisamment avancé, que ma carapace sera solide, alors, et seulement alors, je pourrai regarder en arrière, et ne rien regretter.
D’un coup, le train passe sous un tunnel, et la vitre de la fenêtre me renvoie soudain mon reflet. Je suis surprise par ma propre détermination, celle que je lis dans mon regard. Un petit sourire se dessine sur mon visage : il est temps d’aller de l’avant.