Le temps passe. La frontière entre jeu vidéo et cinéma se fait plus tenue. Si de plus en plus de jeux reprennent les codes du 7ème art, certains flirtent carrément avec le film interactif. Après avoir goûté à ce genre et m’y être accoutumé, je suis tombé sur la perle rare, et elle s’appelle Beyond Two Souls.
Une pluie lourde
2010, sortie de Heavy Rain. J’entends battre, au loin, une forte pluie médiatique. Pourtant, je ne teste pas le jeu, n’ayant alors pas de Playstation 3. Telle une Bataille d’Hernani des temps modernes, d’aucuns accusent l’œuvre de David Cage de n’être pas vraiment un jeu vidéo (critique qui s’abattra également quelques années plus tard sur Beyond Two Souls). Conscient de tout ceci, je teste tout de même Heavy Rain, il y a quelques mois, le termine, et lève alors un sourcil interrogateur. Effectivement, le jeu a ses lacunes : déplacements lourds et hasardeux des personnages, Quicktime Events trop présentes et parfois pénibles, errances dans le scénario et autres défauts… Je rajouterais même avoir eu du mal à rentrer dans l’histoire lors des premières heures de jeu.
Pourtant, la prise de risque est énorme. Le fait de faire intervenir de vrais acteurs, par le biais de la fameuse motion capture est un véritable plus et les multiples choix scénaristiques augmentent réellement l’intérêt de l’histoire. On sort du jeu avec une vraie nouvelle expérience. Même s’il a vieilli techniquement et même s’il reste imparfait, Heavy Rain est bluffant et fait vraiment, selon moi, avancer l’histoire du jeu vidéo par sa technique et sa vision du gameplay.
Le procédé de « Motion Capture » permet à de véritables acteurs de donner vie aux personnages du jeu.
L’écho de la pluie
Heavy Rain a permis de démocratiser un genre jusque là plutôt rare, voire inexistant : le film interactif. Le succès et la qualité de jeux au contenu épisodique comme The Walking Dead ou The Wolf Among Us sont, en effet, directement liés à la production de Quantic Dream. Le studio Telltale Games en a d’ailleurs fait son fer de lance en développant de grandes séries comme Game of Thrones, Walking Dead ou encore Jurassic Park. Récemment, le studio français Dontnod a sorti deux épisodes de son nouveau jeu, Life is Strange, reprenant également le concept de film interactif. Vu le succès rencontré par ces jeux, on peut donc se dire que, malgré les critiques qu’il a reçu, Heavy Rain a su démocratiser un genre que l’on retrouve désormais bien plus souvent dans le paysage vidéoludique.
The Walking Dead a surfé sur le succès de la BD et de la série télé éponymes, tout en offrant une expérience incroyable !
The Wolf Among Us insère un côté « enquête policière » au genre, avec également beaucoup d’action.
Life is Strange, un des derniers jeux « épisodique » en date.
Derrière l’écran
Beyond Two Souls va encore plus loin que les jeux précédemment cités. D’un point de vue technique déjà : la motion capture, qui permet de faire évoluer de vrais acteurs dans un environnement 3D, déjà utilisée dans Heavy Rain, est ici magnifiée. Le joueur a parfois l’impression d’être réellement face à un film. Les expressions faciales, et surtout celles des héros principaux incarnés notamment par Ellen Page et Willem Dafoe, sont bluffantes.
Au delà de l’aspect esthétique, le jeu des acteurs est excellent, de même que le soin apporté au scénario. Celui-ci se dévoile d’ailleurs de façon fragmentée et non chronologique. Avant chaque chapitre, une frise temporelle permet de situer l’épisode auquel nous allons jouer. Il est donc possible de commencer une partie avec Jodie adulte, puis d’enchaîner un autre chapitre qui se passe 10 ans plus tôt. Rassure-toi mon petit, on ne se perd pas pour autant dans l’intrigue. Au contraire, le fil conducteur se développe et se détaille remarquablement bien, grâce à cette subtilité. Petit à petit, l’histoire, assez fantastique, se décortique et devient plus claire.
Parlons-en de l’histoire ! Jodie, l’héroïne, est en contact direct avec Aiden, une entité fantomatique, qui est liée à elle. Une relation étrange existe entre eux, faite d’amitié, de respect, mais aussi de colère et de rancœurs. Si Jodie peut contrôler Aiden, et s’en servir de façon « professionnelle », en traversant les murs, en prenant possession d’individus, ou en les neutralisant, l’esprit conserve toutefois son petit caractère bien trempé… Il lui arrive donc de péter des câbles et de tout casser, selon la situation. Il appartient parfois au joueur lui-même de décider du comportement d’Aiden… Avouons-le, la part de responsabilité laissée au joueur est limitée. Certes, les choix de réponses, les quelques scènes d’actions et la possibilité d’incarner un esprit nous immerge et nous implique dans le jeu, mais au final, le challenge est quasi inexistant. Voilà qui en rebutera peut-être certains.
Sommes-nous à la frontière du jeu vidéo et du film ? Nos choix sont-ils vraiment importants ? Peut-on encore parler de gameplay, à ce niveau ? Au final, la vraie question est : ces dernières questions sont-elles importantes pour kiffer cette expérience ?
Loin des clichés féminins habituels, Jodie est une héroïne touchante
Tout en nuance, le personnage de Nathan est également bien foufifou !
Non, ce n’est pas de l’acupuncture, mais le fameux procédé de Motion Capture.
Au-delà du gameplay
Oui, les actions contextuelles et les Quicktime Events sont simplistes. La plupart du temps, ne pas réussir une action ne change pas la suite du scénario, et les choix du joueur ne modifient pas vraiment l’aventure, si ce n’est la survie, ou non, de certains personnages secondaires. Personnages qui, d’ailleurs, sont souvent très attachants. Certaines scènes m’ont marqué, comme ce moment où Jodie doit mendier… Combien de jeux ont osé flirter avec la simulation d’un SDF sans tomber dans le cliché, et en éveillant les consciences ? Zéro, non ?
Alors, oui, c’est vrai, finalement, on ne fait pas grand chose dans Beyond Two Souls. Le joueur se retrouve parfois plus spectateur qu’acteur. Ce qui pourrait être apparenté à un défaut se résume finalement à un parti pris. Un parti pris qui permet de plonger dans l’histoire en se débarrassant de certaines contraintes qui me sont apparues comme superflues. Tout simplement parce que j’ai été happé par le scénario, et que mon implication à l’intérieur, aussi simple soit-elle, a suffit à m’immerger entièrement. Tant pis s’il me suffit d’appuyer sur une direction lors des scènes d’action : c’est la beauté de la scène en elle-même qui m’intéresse et non son challenge.
Les héros sont charismatiques, leurs expressions sont saisissantes, les décors sont beaux, la musique est prenante… Bref… une fois le jeu terminé, j’ai ressenti un sentiment oublié depuis pas mal d’années : une grande émotion. Une sensation que me procuraient ces grands jeux qui m’ont bouleversé il y a des années. Oui, n’ayons pas peur des mots : Beyond Two Souls m’a bouleversé !
Si l’absence de gameplay nerveux et de véritable « jeu » ne te rebute pas, et si vivre une expérience cinématographique et scénaristique t’intéresse : fonce jouer à cette petite pépite, petit lecteur. Car, je le crois vraiment dans mon petit cœur de gamer, Beyond Two Souls est de ces jeux qui font avancer l’histoire du jeu en lui-même.
Devenue SDF, Jodie va découvrir un groupe de sans abris. Un des moments les plus « mignons » et difficile du jeu.
Entraînement à la CIA : ça ne rigole pas !
Willem Dafoe et Ellen Page « motion capturés » sous le regard attentif de David Cage.
Vraiment très fun comme jeu. J’ai pu y jouer et j’ai juste adoré !